Que nous le voulions ou non, nous sommes entrés dans une période de profondes mutations : basculement des équilibres géopolitiques issus du XXème siècle, apparition de tensions géoéconomiques sur l’accès à certaines matières premières dont le pétrole, ruptures techniques et technologiques – notamment la robotique et l’intelligence artificielle – qui restructurent les chaines de valeur traditionnelles et les compétences clés, gestion des premières conséquences du dérèglement climatique, transformation de nos pyramides sociodémographiques…
Pour nos sociétés, les défis d’ampleur à venir sont, pour certains du moins, déjà connus : sortie de la crise sanitaire et économique, adaptation à la transition numérique, écologique, environnementale et démographique… Autant de dynamiques qui, peu à peu, dessinent une nouvelle rupture dans la manière d’organiser nos activités et nos sociétés. A l’instar de chaque « révolution », nos manières d’échanger, de produire, de consommer, de nous déplacer et de créer de la valeur vont devoir se transformer.
Pour notre démocratie, cet impératif de transformation présente à la fois un défi et une opportunité. Un défi car les choix d’aujourd’hui conditionnent la capacité à préserver l’autonomie et la souveraineté des générations actuelles et à venir. Une opportunité car ce contexte nous donne la possibilité de refonder notre logiciel commun pour bâtir de nouvelles modalités de décision et d’action.
Ancien et nouveau monde, monde d’avant et monde d’après… Au-delà des incantations, il nous appartient d’engager une profonde réorientation de nos politiques économiques pour remobiliser les énergies publiques, privées et citoyennes vers un projet collectif partagé.
Agir aujourd’hui, pour ne pas subir demain. Investir dès maintenant dans la transformation de notre économie et de nos territoires est plus que jamais nécessaire. Chemin faisant, il est indispensable d’engager dans les faits une transition écologique, sociale et économique pour une société dont les activités seront moins vulnérables face aux crises et mutations mondiales à venir.
Nous voilà donc à l’heure des choix. En premier lieu, celui de privilégier une économie locale, résiliente, durable et solidaire. Le choix également de soutenir l’émergence et le développement des entreprises compatibles avec cette « nouvelle économie ». Le choix, enfin, de soutenir l’émergence de territoires d’innovation permettant d’accélérer l’émergence et la mise en place des réponses dont nous avons tous besoin.
Privilégier la mise en place d’une économie locale, résiliente, durable et solidaire
1 million d’espèces animales et végétales sont menacées d'extinction, 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore… Ces chiffres témoignent de l’ampleur des enjeux liés au réchauffement climatique, à l’appauvrissement des sols et à l’érosion de la biodiversité auxquels il faut désormais répondre. Ils illustrent également les bouleversements économiques en cours, induits par les ruptures techniques et technologiques contemporaines.
Un sondage réalisé en avril 2020 montre que la crise sanitaire et économique accélère la prise de conscience de la nécessité de transformer notre logiciel économique.
Pour 61% des sondés, « notre société et son rapport à l’autre, à l’environnement, à la croissance et à la mondialisation ne pourra pas fonctionner comme avant ». Les attentes exprimées par les français dessinent de nouvelles priorités économiques : garantir l’autonomie agricole, favoriser la relocalisation d’activités industrielles – et les rapprocher des activités de recherche & développement – soutien à une politique écologique et environnementale…
Il apparaît nécessaire de définir les principes de la relance économique et, partant, d’identifier les secteurs à soutenir en priorité.
- Une économie de la résilience, garantissant la capacité de continuer à vivre, fonctionner, se développer et s’épanouir après un choc ou une catastrophe en promouvant notamment les approches locales basées sur de nouvelles proximités et capacités de production locales repensées ainsi que des approches low tech permettant de fonctionner en mode dégradé.
- Une économie durable et bas carbone qui s’appuie sur des activités sobres en ressources, dont la gestion est sans préjudice pour l’Homme et l’environnement et qui recherche une réduction ambitieuse et volontariste de l’intensité de l’impact environnemental et énergétique de nos activités.
- Une économie solidaire dans laquelle le développement de l’utilité sociale et la qualité des rapports entre les différentes parties prenantes fera partie intégrante de l’analyse de la performance des entreprises.
La route est droite mais la pente est forte… Pour crédibiliser une telle politique d’investissement dans la transformation de notre économie et de nos territoires, il convient de s’appuyer en premier lieu sur les entreprises.
Soutenir des modèles d’entreprises compatibles avec cette politique économique ambitieuse
La loi Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises (PACTE) promulguée le 22 mai 2019 introduit la qualité de sociétés à mission. La reconnaissance officielle de ce statut s’inscrit dans une tendance de fond : pour 51% des français, l’entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble et peut donc contribuer à résoudre les défis « d’intérêt général » contemporains.
Ce statut permet ainsi à une entreprise de préciser sa raison d’être et d’ainsi affirmer un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux qu’elle se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité. Cette mission, librement définie, et impliquant un impact social, sociétal ou environnemental positif, engage l’entreprise auprès de ses parties prenantes et doit se traduire par des moyens et des objectifs chiffrés, objectivés et évalués annuellement par les différentes instances de gouvernance de l’entreprise.
Gouverner c’est choisir. Pour soutenir le développement d’une économie locale, résiliente, durable et solidaire, il apparait nécessaire et indispensable de flécher les investissements et les mesures de relance économique vers des acteurs économiques qui serviront cette ambition. Les entreprises à mission constituent ici des acteurs stratégiques sur lesquels s’appuyer pour inspirer et conduire la transformation de notre économie.
En réalité, ce statut d’entreprise à mission vient consacrer un nouveau modus operandi pour les entreprises dans leur processus de création de valeur qui doit se conjuguer avec un impact social, environnemental, sociétal ou local. Atos, La Poste, Danone, Le Groupe Rocher, La Maif… Plusieurs grandes entreprises ont déjà exprimé le souhait de s’inscrire dans cette démarche.
Par ailleurs, la dynamique de création de jeunes entreprises illustre la vigueur de ces aspirations dans de nombreux domaines : industrie textile (1083, le Slip Français), financement participatif d’entreprises durables ou locales (LITA, Tudigo, Lendosphere…), alimentation (Yuka, La Ruche qui dit Oui, Too good to go, Bleu Blanc Ruche…), énergie (Tiamat, Eco-Tech CERAM) …
Les initiatives inspirantes existent. Il faut désormais mettre en place les fondamentaux pour démultiplier ces initiatives afin d’accélérer et démultiplier la transformation de notre économie et de nos territoires.
Bâtir des territoires d’innovation pour accélérer et renforcer cette transformation
L’ampleur et l’imminence des défis impliquent d’engager concrètement les différentes transitions évoquées précédemment. Pour cela, la coordination des investissements publics et privés doit se structurer autour de trois axes prioritaires :
- Transformer les activités économiques afin de les adapter rapidement aux contraintes liées aux transitions actuelles, en réduisant leur dépendance aux matières premières et aux ressources fossiles ;
- Renforcer l’autonomie et la résilience des modèles économiques et territoriaux en relocalisant certaines activités industrielles stratégiques clés ;
- Investir dans la création de solutions économiques et territoriales innovantes qui pourront se déployer localement et contribuer aux défis contemporains.
Quelle échelle pertinente pour conduire ces transitions et gérer le déploiement de ces investissements ? L’actualité récente a montré une Union Européenne peu audible et finalement peu visible sur la gestion de la crise : les initiatives des différents Etats-membres s’inscrivent en contradiction totale avec le fonctionnement du marché unique régi par le principe-socle d’interdiction des aides d’Etats et de libre circulation des biens et des marchandises. Le GREEN DEAL en cours d’élaboration pourrait participer à l’évolution de la doctrine européenne sur ces sujets…
L’Etat, en tant que garant de la souveraineté, est intervenu naturellement sur le volet sanitaire et économique en ce début 2020. Mais il s’est pour cela appuyé sur les régions et les différents territoires, notamment pour la mise en place du fond de soutien à l’économie. La crise aura ainsi redémontré le rôle, l’importance et la nécessité des approches locales dans la construction et la mise en œuvre des solutions opérationnelles aux crises.
Structuration des compétences, animation de places de marché locales (market place) regroupant offre et demande sur des thématiques clés (alimentation, industrie, innovation…), soutien à l’émergence de nouvelles boucles de valeurs locales, création d’entreprises à mission… Face aux enjeux concrets et opérationnels de transition de nos activités vers des modèles bas carbone ou de la relocalisation de filières de production alimentaire et industrielle, le territoire de proximité est un échelon stratégique.
Certaines initiatives – tiers-lieux, incubateurs, monnaies locales, circuits courts, recycleries – mettent en lumière la vitalité et la pertinence des approches locales sur ces sujets. Il nous appartient désormais d’amplifier et privilégier ces dynamiques locales et collaboratives.
Les démarches Territoire d’Innovation et Territoire d’Industrie, initiées récemment par l’Etat, ont montré la voie, elle d’une approche collective et collaborative regroupant pléthore d’acteurs aux profils variés – des acteurs économiques, de la formation, des institutionnels et des collectifs de citoyens – au service d’un dessein : la mise en œuvre de projets d’investissement structurants pour les territoires et la création d’entreprises répondant à des problématiques d’intérêt général jugées décisives et urgentes.
L’heure est aux choix. Faisons celui d’une réelle transition écologique, sociale et économique, qui mobilisera notre société et l’ensemble des forces vives de nos territoires autour d’approches locales et créatives novatrice.